L'immobilier logistique : quels enjeux attendent le secteur ?

16 janvier, 2025

Le marché français de l’immobilier logistique a enregistré une contraction de 24 % en 2023, mais le volume des transactions demeure solide, avec un quart des échanges dédiés aux entrepôts XXL. Cette dynamique s’inscrit dans un contexte mondial où le secteur, bien que ralenti, est en pleine mutation, largement impulsée par la montée en puissance du e-commerce. Les prévisions indiquent qu’à partir de 2025, le marché devrait amorcer une reprise significative. Exploration des évolutions et tendances à venir avec Fabrice Galloo, directeur foncier de Castignac et directeur du développement du projet E-Valley, le plus gros parc logistique d’Europe en cours de développement.

Un panorama en demi-teinte de l’immobilier logistique

Après une chute de 25 % des nouvelles constructions d’entrepôts en 2023 en Amérique du Nord et en Europe, le secteur de l’immobilier logistique amorce une phase d’incertitude. Si des signaux encourageants laissent espérer une reprise d’ici 2025, l’équation reste fragile : l’automatisation et les avancées technologiques redynamisent le marché, mais les incertitudes économiques freinent encore les investissements. Décryptage d’un secteur à la croisée des chemins.

À l’international, le marché de l’immobilier logistique entre incertitudes et opportunités

En Europe, les transactions annuelles ont connu une forte baisse. Pourtant, et malgré l’inflation et les incertitudes géopolitiques, l’immobilier d’entrepôt se prépare à rebondir. La situation de crise a permis aux entreprises de mieux optimiser leur stockage pour faire face aux aléas. « La Pologne et l’Espagne tirent leurs épingles du jeu – la France assure une certaine forme de stabilité pendant que les autres collègues européens subissent quelque peu la récession », précise Fabrice Galloo. 

Aux États-Unis, malgré une réduction de 25 % dans la construction de nouveaux entrepôts, les géants consolident leurs positions avec des projets d’envergure. Les centres de distribution d’Amazon de 334 000 m² à Mt Juliet et celui de Tesla, 492 000 m² à Frémon, en Californie sont un exemple. Cette résilience américaine pourrait servir de modèle à l’Europe, où la stabilisation des coûts et la ré-optimisation des espaces de stockage sont plus que jamais d’actualité.

En Chine, le rapport gouvernemental 2024 souligne que le marché de l’immobilier logistique joue un rôle clé dans la croissance économique du pays. La demande croissante, alimentée par le commerce électronique transfrontalier et les besoins changeants des locataires, se traduit par une diversification du marché locatif. Les améliorations dans la logistique de la chaîne du froid, notamment dans les zones rurales, reflètent une dynamique similaire à celle observée en Europe et aux États-Unis, où l’innovation et l’adaptation sont essentielles pour surmonter les défis actuels.

Une tendance à la régionalisation et une forte croissance de l’e-commerce

Les alliances locales en Asie et en Amérique du Nord ont façonné des hubs commerciaux interrégionaux dynamiques. En 2023, le Mexique a franchi une étape importante en surpassant la Chine pour devenir le principal fournisseur de biens des États-Unis. 

Depuis le COVID-19, d’autres pays de la région asiatique, tels que la Malaisie et la Thaïlande, connaissent également un essor notable, attirant les entreprises qui cherchent à diversifier leurs sources d’approvisionnement. Cette tendance vers la délocalisation de l’immobilier d’entrepôt s’explique par un désir de réduire la dépendance à la Chine pour favoriser une plus grande stabilité géopolitique et un meilleur accès aux marchés finaux.Quant au commerce électronique, en croissance, il stimule la demande d’entrepôts. Malgré les défis rencontrés par les e-commerçants, des leaders comme Amazon, JD et Cdiscount continuent d’investir massivement. Les modèles de distribution évoluent pour s’aligner sur la régionalisation, avec des entrepôts plus petits et situés plus près des consommateurs, afin de répondre efficacement aux besoins locaux et d’optimiser les chaînes d’approvisionnement régionales

Des disparités régionales et mondiales importantes sur le marché des surfaces logistique

En Asie, le groupe singapourien GLP se distingue par une entrée marquante sur le marché européen, affichant un portefeuille logistique de 9,1 millions de m², après avoir réalisé en 2019 la plus grande transaction immobilière privée au monde avec la vente de 16,7 millions de m² d’entrepôts aux États-Unis à Blackstone.Une dynamique internationale qui contraste fortement avec la situation en France, où la “dorsale” logistique est saturée. Le manque d’offre dans le sud et l’absence de grands volumes en Île-de-France ont conduit à une baisse des transactions. Les pôles secondaires constituent un maillage territorial plus équilibré, qui souligne les disparités marquées entre les marchés logistiques régionaux et mondiaux.

Les entrepôts XXL et les innovations technologiques ont la cote

En Europe, la demande pour les entrepôts XXL de plus de 40 000 m² reste robuste, avec 16 projets réalisés en 2023, soit un quart du volume total. Les entrepôts de taille intermédiaire, de 10 000 m² à 20 000 m², montrent également une forte dynamique, capturant plus de 31 % du volume avec 75 transactions.

Parallèlement, le marché de l’immobilier logistique poursuit sa révolution technologique. Les entreprises misent sur l’automatisation, les systèmes de gestion d’entrepôt (WMS), l’IoT, les véhicules autonomes, les drones, la robotique et l’impression 3D. L’intelligence artificielle et la blockchain transforment profondément le secteur. Les robots mobiles autonomes d’Exotec en sont un parfait exemple : utilisés pour automatiser le stockage et la récupération des articles, ils sont capables de se déplacer en 3D et d’atteindre des produits jusqu’à 12 mètres de hauteur. Une innovation technologique qui combine gain de productivité et optimisation de l’espace de stockage.

L’horizon se dégage pour l’immobilier d’entrepôt

Alors que le secteur de l’immobilier d’entrepôt se transforme, plusieurs tendances majeures émergent, révélant un horizon prometteur pour les investisseurs et les acteurs du marché.

Un intérêt maintenu des investisseurs

Les sociétés d’investissement immobilier et les fonds de pension intensifient leurs investissements dans l’immobilier logistique, séduits par des rendements stables et une demande soutenue. Cette attraction pour le secteur renforce les besoins de financement sur le marché.

Une hausse du e-commerce à prévoir

Les ventes en ligne représentent actuellement 11 % du total des ventes au détail en Europe. La tendance est à l’optimisation de la mobilité urbaine des marchandises et à la logistique inversée. En 2023, environ deux tiers de la demande d’occupation d’entrepôts provient des détaillants et des prestataires de services logistiques.

De nouveaux projets ultra-innovants

En Asie du Sud-Est, les investissements en infrastructures logistiques devraient croître de 30 % au cours des cinq prochaines années, en se concentrant sur les villes clés. Les promoteurs privilégient les baux de qualité à long terme intégrant l’automatisation et la décarbonation. Shanghai continue de démontrer une résilience remarquable dans ses rendements de marché.

Les entrepôts multi-niveaux percent aussi en Europe

Déjà bien ancrée en Asie, avec des entrepôts à plusieurs niveaux comme à Hong Kong, la tendance à la hauteur se renforce également aux États-Unis et en Europe. Une tendance que confirme Fabrice Galloo, « La logistique sera le secteur le plus disrupté, très automatisé. L’entrepôt multi-niveaux, de grande hauteur et ultra-connecté se généralise avec des capacités multipliées par 10. Actuellement, les chinois, en manque de foncier, sont en avance (100 000m2 à l’étage) grâce aux volumes du marché intérieur. »

Des espaces plus flexibles pour s’adapter à la demande

Aux États-Unis, les exploitants logistiques, ayant tiré les leçons des perturbations passées dans la chaîne d’approvisionnement, ont rationalisé leurs stratégies de gestion des stocks, réduisant les niveaux de stock de 13 points en un an. « En Europe, le parc logistique d’E-Valley répond à cette nouvelle exigence de flexibilité en proposant des espaces de stockage modulables, allant de 6 000 à 150 000 m², selon les besoins des utilisateurs », comme l’explique Fabrice Gallo. Des exemples qui confirment un besoin croissant vers davantage de flexibilité. Nous sommes à l’heure des campus logistiques.

Un cadre réglementaire plus lisible

Des normes mondiales uniformisées, telles que la certification BREEAM, régulent désormais l’impact environnemental du secteur. Adoptée par 83 pays, cette référence internationale a permis la certification de 500 000 bâtiments. Ce cadre réglementaire « green deal » favorise une offre à faibles émissions de carbone tout en exigeant des investissements plus importants, rendant le cadre réglementaire plus clair et plus cohérent à l’échelle mondiale.

Immobilier logistique : les défis qui bousculent le secteur

La disponibilité du foncier en zone urbaine est devenue un enjeu clé pour l’immobilier logistique. D’après AFILOG, les loyers ont grimpé de 8 % par an depuis 2021, un constat qui souligne l’urgence de cartographier les sites disponibles, y compris les friches, à l’échelle locale, afin de les réorienter vers des usages logistiques. Cela exige une collaboration renforcée entre les acteurs du secteur et les élus locaux.

Parallèlement, les coûts de construction continuent d’augmenter, ce qui rend les entreprises plus prudentes dans un contexte économique incertain. Bien que la hausse des prix des matériaux et de l’énergie soit préoccupante, des signes d’amélioration sont attendus d’ici 2025, ce qui pourrait alléger la pression sur les investisseurs et développeurs.Les infrastructures de transport sont essentielles au développement de hubs logistiques, nécessitant des investissements publics pour moderniser les réseaux routiers et ferroviaires. De plus, les politiques d’urbanisme doivent intégrer les entrepôts dans leur planification pour faciliter cette transition.

E-Valley : un modèle innovant pour l’immobilier logistique
E-Valley incarne la vision d’une SMART city où l’entrepôt est intégré au tissu urbain. « Ce campus logistique regroupe des entreprises, des formations et des activités de recherche, créant ainsi 1 500 emplois directs et 1 000 emplois indirects », précise Fabrice Galloo. 
Conçu en étroite collaboration avec les équipes de développement économique de la région Hauts-de-France, E-Valley s’aligne sur le projet en cours de réalisation du Canal Seine Nord Europe (CSNE). Un projet qui vise à relier la Seine aux ports de la mer du Nord par voie fluviale, permettant d’acheminer l’équivalent de 220 camions sur une barge porte-conteneurs.
Une telle innovation constitue un atout majeur pour les politiques RSE des entreprises, comme en témoigne le choix d’un des premiers e-commerçants français, La Redoute, de s’implanter à E-Valley, soutenue aujourd’hui par GXO. E-Valley peut être considéré comme un véritable cluster, un campus dédié à l’activité logistique où se côtoient chargeurs, logisticiens, transporteurs et divers services à l’entreprise, allant de la formation à la recherche.

Enfin, la logistique urbaine, soutenue par des politiques publiques et un accès facilité au foncier, a vu des villes comme Tokyo, Hong Kong et Séoul investir dans des entrepôts urbains de grande hauteur. Toutefois, l’acceptabilité de ces projets par la population reste un défi, les oppositions des élus, des riverains et des associations écologistes, ce qui peut retarder les autorisations de construction.En dépit des défis qui se présentent sur le marché de l’immobilier logistique, ce secteur fait preuve d’une résilience impressionnante. La demande mondiale pour des espaces d’entrepôts continue d’augmenter, alimentée par l’évolution des chaînes d’approvisionnement et l’essor du e-commerce. Les perspectives d’avenir, portées par des projets novateurs comme E-Valley et soutenues par des initiatives publiques stratégiques, offrent une lueur d’espoir dans un paysage économique en mutation. En somme, l’immobilier logistique se réinvente et s’adapte aux exigences contemporaines tout en préparant le terrain pour une croissance durable.

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